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Josiane Bigot "L’une des difficultés principales de la protection de l’enfance est sa gouvernance"

Josiane Bigot, présidente de la CNAPE (Convention Nationale des Associations de Protection de l'Enfant) nous répond



Pourriez-vous vous présenter ainsi que votre parcours ?


J’ai exercé pendant plus de 40 ans le métier de magistrat, avec beaucoup de conviction et d’engagement. Mon choix premier s’était porté sur la fonction de juge des enfants, que j’ai occupée pendant près de 15 ans, avec passion.

J’espère, modestement, avoir contribué à redonner un peu d’espoir à toutes ces familles cabossées par la vie en introduisant dans leur parcours la justice des mineurs.

Mon évolution professionnelle m’a permis de découvrir d’autres fonctions captivantes, telles que celles de juge de l’application des peines, présidente de cour d’assises, et j’ai terminé par la présidence de la chambre des affaires familiales et des mineurs à la cour d’appel.

Mon intérêt pour l’humain au cœur de la justice a dicté ma carrière.

J’ai toujours complété mon activité judiciaire par un engagement associatif fort, et en particulier autour de l’enfance.

La défense des droits de l’enfant m’apparaît comme un fil rouge dans ma vie, et j’ai ainsi présidé pendant plus de 30 ans et dès sa constitution l’association THEMIS, sur le territoire alsacien, d’accès au droit pour les enfants et les jeunes, qui œuvre pour la reconnaissance de tous les droits pour tous les enfants par un accueil individualisé, mais aussi des actions collectives, et qui exerce le mandat d’administrateur ad hoc , lorsque les titulaires de l’autorité parentale ne sont pas en capacité de faire valoir les intérêts de leur enfant qu’il soit victime, ou auteur d’infraction ou mineur non accompagné…

C’est ainsi très naturellement qu’avec ma retraite je me suis engagée auprès de la CNAPE que je préside depuis 5 ans.


Quelles sont les missions de la CNAPE ?


Créée en 1948, la CNAPE est une fédération nationale des associations qui accompagnent et accueillent les enfants, adolescents et jeunes adultes en difficulté. Son action s’inscrit dans le respect de la Convention internationale des droits de l’enfant et dans le cadre des politiques publiques relatives à l’enfance et à la jeunesse.

Ses champs d’intervention concernent la prévention, la protection de l’enfance, la justice pénale des mineurs, l’enfance et la jeunesse en situation de handicap et de vulnérabilité

Elle a inscrit l’enfant au cœur de ses actions, et se préoccupe de faire valoir ses droits et ses besoins tant dans les prises en charge de ses adhérents que dans les politiques publiques.

Elle représente 250 adhérents environ, associations, fédérations, mouvements et membres individuels, soient près d’un millier d’établissements, 250 000 enfants et adolescents accompagnés par près de 28 000 professionnels et 8000 bénévoles.

Elle est leur porte-parole et les représente auprès des instances gouvernementales et parlementaires ; elle est aussi force de proposition

Elle est reconnue d’utilité publique depuis 1982

Elle est aussi représentée au niveau territorial par des délégués régionaux, qui recueillent les attentes et les propositions des associations locales, mais qui retranscrivent également sur le territoire les réflexions et positionnements nationaux.


Pensez-vous que les associations de protection de l’enfance sont entendues ?


Nul doute que par le biais de la CNAPE notamment, mais aussi d’autres fédérations, l’accès aux décideurs publics existe.

J’ai eu l’occasion à ce titre être auditionnée dans le cadre de tous les projets de textes relatifs à l’enfance, et de nombreux amendements proposés ont été finalement adoptés par les parlementaires ;

De même, les différentes missions diligentées, qu’elles soient interministérielles ou conduites par des organismes nationaux ou européens, font une large place à nos propos ou écritures.

Cependant, nos attentes restent toujours importantes, nous référant d’ailleurs aux travaux de la commission des droits de l’enfant de Genève, et portent en particulier sur la prise en compte des enfants dans l’élaboration de toutes les politiques publiques, mais aussi sur le respect de leurs différences.

Il est facile d’illustrer mon affirmation, en rappelant qu’il a fallu attendre le code de la justice pénale des mineurs pour qu’un seuil de responsabilité pénale des mineurs soit fixé (13 ans) , avec une forte déception, puisqu’ il ne s’agit que d’une présomption d’irresponsabilité simple, et que malgré les efforts portés par la loi du 7 février 2022 sur la protection des enfants, le sort des mineurs non accompagnés reste toujours différencié et fragilisé, alors que nos engagements internationaux nous imposent de les traiter à l’identique des nationaux.


Quel constat faites vous de la coordination entre Aide Sociale à l’Enfance et la Protection Judiciaire de la Jeunesse ainsi que les différents opérateurs associatifs en charge des mesure ?


L’une des difficultés principales de la protection de l’enfance est sans nul doute celle de sa gouvernance.

Depuis la décentralisation, la protection de l’enfance relève des conseils départementaux, et les lois de 2007 et 2016 ont désigné le président du conseil départemental en tant que pivot.

La protection judiciaire est devenue subsidiaire, même si elle reste essentielle, puisque seule l’autorité judiciaire peut imposer des décisions de protection à des parents qui les refusent. La pratique démontre également que près de 80 % des mesures de protection de l’enfance sont judiciaires.

Mais le financement relève exclusivement des conseils départementaux, avec bien entendu des dotations de l’État, toujours jugées insuffisantes.

S’agissant des mineurs en conflit avec la loi, ils relèvent pour leur part de la protection judiciaire de la jeunesse, y compris pour le financement.

Il existe un 3e interlocuteur, et notamment financier, des opérateurs associatifs : les agences régionales de santé qui interviennent pour les enfants porteurs de handicap

Cette conjonction peut se révéler extrêmement complexe et délicate pour les associations, dans leur gestion du personnel notamment ; une illustration en a été donnée après la crise sanitaire, une prime ayant été accordée dans le médico-social, dans les établissements gérés par la protection judiciaire de la jeunesse, et laissée à l’initiative des conseils départementaux pour la protection de l’enfance , d’où une inégalité de statut des salariés dépendants d’un même employeur ,ce qui est contraire au droit du travail !

La loi récente ci-dessus mentionnée de février 2022 essaye d’apporter une réponse à la question de la gouvernance, en instaurant un groupement d’intérêt public national regroupant plusieurs institutions de la protection de l’enfance, et notamment le conseil national de protection de l’enfance, l’observatoire national de la protection de l’enfance, l’agence nationale de l’adoption et le conseil national pour l’accès aux origines personnelles.

La question essentielle à mon sens se pose au niveau local, et il est urgent de contraindre au dialogue les conseils départementaux, la justice, la protection judiciaire de la jeunesse, l’agence régionale de santé afin d’apporter des réponses coordonnées aux réalités du terrain.

Je suis personnellement extrêmement choquée de voir des décisions judiciaires de protection des enfants non exécutées par les présidents des conseils départementaux. Cette situation courante aujourd’hui était impensable lorsque j’exerçais les fonctions de juge des enfants.

Nul doute que les budgets ont explosé, que l’accueil de mineurs non accompagnés est une source de complication, mais il est inadmissible qu’un enfant dont la situation a été évaluée par la justice comme le mettant en danger reste inchangée du fait de l’inertie des services sociaux.


Quel regard avez-vous sur la démocratisation de l’intérim, notamment le dispositif mis en place dans le Calvados ? Certains craignent un souci de continuité dans l’accompagnement des mesures.


Je crois que la difficulté première à laquelle nous sommes déjà confrontés est celle du travail social et en particulier l’accompagnement des enfants et des familles à protéger.

Depuis plusieurs mois la CNAPE et d’autres organisations du champ social et médico-social alertent les pouvoirs publics sur l’ampleur et la gravité de la crise d’attractivité qui frappe l’ensemble des métiers du secteur.

La réponse doit se faire à plusieurs niveaux : revalorisation salariale, reconnaissance politique et restauration de l’image des travailleurs sociaux, amélioration des conditions de travail, restructuration des formations…

De nombreux postes restent vacants, qu’il s’agisse d’accompagnement en milieu ouvert des familles, ou d’accueil des enfants chez soi ou en institutions y compris des postes d’encadrement et de direction. Cette situation est totalement inédite et a priori insoluble.

Des conséquences dramatiques peuvent survenir à très court terme, puisqu’il est une évidence que l’accompagnement des enfants et en particulier les plus démunis et les plus vulnérables nécessite un personnel spécialisé, formé, et volontaire.

Il est évident que cette définition ne correspond pas au travail intérimaire, qui s’inscrit en opposition complète avec l’exigence de continuité du lien entre le professionnel et l’enfant.


Changement de Secrétaire d’Etat, vous avez des attentes, des espoirs, des demandes concrètes demandes concrètes à formuler ?


Nous sollicitions la désignation d’un ministre de l’enfance, comme nous réitérons notre demande de la création d’un code de l’enfance.

Nous savons par l’expérience vécue avec Monsieur Adrien Taquet combien l’engagement personnel est porteur de résultats très concrets et nous savons que Mme Charlotte Caubel la renouvellera, avec son atout de la connaissance de la justice des mineurs.

Nous saluons le fait qu’elle ne dépende plus du ministre de la santé mais du premier ministre, ce qui lui permettra certainement d’être mieux entendue dans un contexte interministériel.

Le premier combat que nous lui demandons de mener avec nous est celui précité de la pénurie des travailleurs sociaux.

Il lui faudra aussi s’atteler à la question de la gouvernance

Il me semble que l’on pourrait lui suggérer de susciter un vaste débat national autour de la question de la place des enfants dans notre société extrêmement fragilisée par la crise sanitaire, ses conséquences sociales, sans omettre l’ampleur aujourd’hui pleinement révélée des perturbations environnementales qui suscitent une forte angoisse auprès des adolescents.


Pour l’IDC, septembre 2022…

Le site de la CNAPE :


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